jeudi 22 mai 2008

Y A-T-IL DES ANTISEMITES EN POLOGNE ?


Avec "Fear", Gross confronte la Pologne à ses vieux démons
Portrait de Jan T. Gross devant son dernier ouvrage
Großansicht des Bildes mit der Bildunterschrift: Jan T. Gross est professeur d'histoire à l'Université de Princeton aux Etats-Unis.

Il y a un mois sortait en Pologne un ouvrage particulièrement controversé : "Fear" (la Peur), de l’historien polonais Jan Tomasz Gross. L’auteur y dépeint une société profondément antisémite après 1945 - pour les Polonais, la pilule est dure à avaler.

Jan Tomasz Gross, c’est un peu l’homme qui donne un coup de pied dans la fourmilière Pologne…



C’est du moins ainsi que le présente l’hebdomadaire libéral Przekroj qui publie cette semaine un entretien avec l’auteur de Fear * (La Peur) : « Je me sens comme un poisson dans l’eau. Bien que d’un côté ce soit fascinant, et de l’autre inquiétant. », répond l’interviewé au journaliste Piotr Najsztub.



"Fear", une insulte à la Pologne ?



Jan Tomasz Gross est convaincu que son ouvrage va faire progresser les Polonais quant à leur vision de l’Histoire : « Déjà, dit-il, le fait que certaines choses, qui n’était pas dites jusque là, soient dites, change la situation. » Le journaliste, lui, estime que la discussion a plutôt tendance à enfermer les gens dans leurs stéréotypes. Les Polonais choqués par l’ouvrage rétorquent en effet en accusant l’auteur d’antipolonisme. Est-il fier d’avoir publié un tel livre ? « Non, j’ai le sentiment d’un travail bien fait. », répond l’intéressé.



Rarement un livre n’avait fait autant de bruit en Pologne. Un mois après sa parution, l’auteur faisait encore la une du quotidien libéral Gazeta Wyborcza mardi : « La Peur n’est pas une insulte », titrait le journal, au-dessus d’une photo de Gross tout sourire, prise lors de la présentation de son ouvrage à Varsovie. Le parquet de Cracovie a fini par annuler la plainte dont il s’était saisi - une plainte déposée par des politiques contre l’auteur pour diffamation envers la nation polonaise … Dans le quotidien conservateur Rzeczpospolita, la nouvelle ne fait l’objet que d’un entrefilet en 9e page du journal.



Un pavé dans la mare



La presse polonaise n’est donc pas du tout à l’unisson au sujet de cet ouvrage. Passé la période des critiques tous azimuts, certains titres se font ainsi l’écho d’un vrai débat de société, tandis que d’autres préfèrent l’ignorer. Ainsi Gazeta Wyborcza s’efforce de remuer ce que l’on appelle ici les « vieux démons ». Au début de la semaine par exemple, le journal publiait un sondage qui donnait à réfléchir : 54 % des Polonais pensent d’après cette étude que leurs compatriotes ont souvent aidé les Juifs sous l’occupation allemande…



L'"antisémitisme moderne" des Polonais




Les deux autres principaux quotidiens polonais adoptent des postures bien différentes. Dziennik a décidé tout simplement de ne pas parler de ce sujet – pour lui, ce n’est qu’une histoire de journalistes qui n’ont rien à dire et cherchent des sujets pour polémiquer ; Rzeczpospolita quant à lui a accusé dès le départ Gross de révisionnisme.

La semaine dernière toutefois, le quotidien publiait un entretien avec un éminent sociologue polonais spécialiste de l’antisémitisme, Ireneusz Krzeminski. Celui-ci admettait l'existence d'antisémitisme polonais contemporain, mais qui témoignerait en fait de l’aversion pour des « juifs » symboliques – une aversion pour tout ce qui est « étranger » : les Allemands, l’Union européenne, les homosexuels, les féministes….. Le débat sur l’antisémitisme polonais avance donc, peu à peu.

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* "Fear: Anti-semitism in Poland After Auschwitz, an Essay in Historical Interpretation" par Jan T. Gross (Princeton University Press, 2006).




Amélie Poinssot
http://www.dw-world.de/dw/article/0,2144,3127016,00.html