Face à une extrême droite qui affiche un racisme et un antisémitisme d’une déconcertante virulence, les antifascistes polonais s’organisent pour stopper la Peste brune. Panorama d’un pays aux tristes tribunes…
Des graffeurs, des skateboarders gauchistes, des fans de Hip Hop en survet, des skinheads anti-racistes, des keupons et des crusts, on est bien loin de l'image que tout le monde a en tête quand on prononce les mots "hooligans polonais" et même si cette image des nazi-skinheads et des croix celtiques fleurissant sur les grillages correspond bien à une réalité, un autre monde existe. Le rap est très présent dans les tribunes en Pologne, notamment à Varsovie, où les Hip Hop fans du Legia Warszawa figurent parmi les Hooligans les plus connus. La coexistence avec les autres groupes hooligans du Legia, à tendance d'extrême droite, comme la White Legion ou les Teddy Boys, qui bâchent avec des croix celtiques, est par conséquent parfois houleuse. Mais cette coexistence est permise par la mentalité de ces hooligans, de tendances opposées, selon lesquels "le club reste la priorité".
Ce phénomène des fans de hip hop dans les tribunes provient en partie du fait que nombre de hooligans sont, ce qu'on appelle en Pologne des "blockers", c'est à dire des jeunes issus des cités. Le phénomène qu'on pouvait observer dans les tribunes polonaises il y a 10 ans où tous les hooligans portaient bombers et cranes rasés n'est donc plus la règle mais demeure néanmoins. Dans les années 80, avec la seconde vague du ska et du punk, les skinheads retrouvèrent les stades et les rues. A cette époque, les stades étaient contrôlés par des partis politiques d'extrême droite qui ont vite été suivis par des skinheads (apolitiques durant cette période) et des fans. C'est environ à cette époque que les premiers groupes hooligans sont apparus en Pologne.
En Pologne, aucun autre domaine ne semble autant affecté par le racisme et le fascisme que les terrains de football. Une sous-culture antisémite domine presque complètement les stades, avec des gangs rivaux se traitant routinièrement de "Juif" comme d'une insulte. L'apparition de croix celtiques et de symboles nazis est devenue monnaie courante. Les villes contenant le plus de nazi-skins sont Wroclaw, Lodz, Gdynia, Katowice, Cracovie et surtout Nowa Huta. Ainsi, il n'est pas rare de croiser dans les travées du stade du GKS Katowice des nazi-skins portant des patches "88" ou "White Rebels" alors que dans le même temps, les skinheads antiracistes fréquentant les tribunes du club ne semblent pas s'afficher. Et si les bombers retournés côté orange ont été en France l'apanage des South Winners ou des redskins, ils sont portés ainsi par certains groupes polonais davantage pour se différencier visuellement qu'idéologiquement, ces groupes restant bien souvent d'extrême droite, tels les Hools du LKS Lodz.
En effet, à Lodz, une cité industrielle avec 2 clubs, LKS et Widzew, des graffitis antisémites et nazis, sont souvent combinés avec le symbole du club. Les principaux groupes hooligans du LKS sont la Retkinia Bandits Brigade (RBB) et les Crazy Cannibals. L'article "the bald ones rule here" de la "World Conference Against Racism", paru en octobre 2000, relate alors que, alertées par le fait que la réputation internationale de la ville était en jeu, les autorités de la ville ont organisé une journée d'action largement diffusée, pour nettoyer les murs. Dans un acte de défiance le même soir, les nazis de Lodz ont marqué leur désapprobation en allant tagger "Juden Raus" et des symboles du parti fasciste "National Revival of Poland" (NOP) sur la maison de Marek Edelman, le dernier chef encore en vie du Ghetto de Varsovie de 1943 et un des leaders du syndicat Solidarnosc dans les années 80. Cette attaque sur les murs de la maison d'Edelman prouve que les nazis se sentent intouchables, ce qui semble effectivement être le cas. Après s'en être indignés officiellement dans les médias nationaux, le président Aleksander Kwasniewski et le premier ministre Jerzy Buzek ont écrit des lettres offrant à Edelman une sécurité rapprochée, ce qu'il refusa publiquement en disant que le gouvernement devrait plutôt regarder sa propre politique de tolérance des groupes fascistes.
Le premier ministre promis alors d'étudier l'interdiction du NOP mais aucune action n'a été prise. Le NOP rencontre peu d'obstacles pour organiser les hooligans en cadres "nationaux-révolutionnaires" parce que l'entière sous-culture hooligan est très orientée vers la violence. De nombreux fanzines comme "Football Bandits" à Radom, "Psychofanatic" à Katowice ou "Fanatic & Hooligans" à Chrzanow mentionnent rarement le sport, préférant réserver de l'espace presque exclusivement à des résumés des affrontements entre fans rivaux et contre la police. La baisse de qualité du football polonais comparé aux années 70 et 80 permet plus facilement à une minorité extrémiste de gagner une hégémonie virtuelle dans les tribunes. L'article de la WCAR poursuit en notant que les leaders hooligans semblent également avoir de la sympathie pour l'extrême droite. Ainsi, Tomasz Drogowski, alias Cobra, l'éditeur de la plus grande publication hooligan, "Szalikowcy", déclara dans une interview dans un fanzine nazi-skin (Duma Naszego Miasta) que "le fascisme n'était pas une horrible idée" et que "le national-socialisme était nécessaire afin de purifier les rangs de certains groupes comme les gitans, les punks et les nègres" et ajouta "j'entends de partout que c'est de plus en plus accepté dans les tribunes". Des idées comme celles de Drogowski sont traduites en chants qu'on peut entendre dans les tribunes, comme "We will do to you what Hitler did to the Jews"...
Une interview d'un autre leader de gang parue dans "Forza Hooligans" décrit la situation au stadium du LKS, à Lodz : "Les rasés font la loi ici et nous chantons souvent des chants nationalistes et des slogans racistes." En effet, les hooligans du LKS Lodz sont parmi les groupes hooligans les plus infiltrés par le NOP, qui souvent publie des prospectus spéciaux pour attirer les supporters du LKS à des soirées. Un article disponible sur le site web des Red Devils Lodz (dont le symbole est un soldat sudiste portant une croix celtique) montre que l'antisémitisme touche aussi les ultras de Lodz. Un résumé du match Ruch Radzionkow - Widzew du 13 mai 2000 relate ainsi les faits : "Ruch Radzionkow vs. Zydzew (Widzew vs. LKS Lodz) : 19 hooligans du LKS sont allés à Widzew afin d'attaquer les juifs qui revenaient de leur match à Radzionkow. Quand 20 juifs sont sortis du train, nous les avons immédiatement attaqués. Ils n'ont pas fait face et se sont tout de suite enfui."
Un autre club à la forte présence fasciste est le Legia Warszawa. L'énorme bannière du gang hooligan "White Legion", arborant des symboles nazis peut être vu à chaque match. Un des leaders du gang, Damian Mikulski effectue une peine de 9 ans de prison pour avoir brutalisé à mort un adolescent simplement en raison de sa façon de s'habiller "alternative". Mikuslki, ensemble avec son entourage, a été un des leaders de réunions du NOP à Varsovie. Les récents incidents au stadium du Legia, quand les fans de l'équipe de Varsovie ont brandi des drapeaux portant des slogans "Arbeit Macht Frei" and "White SS Legion" et ont chanté "Zydzew" (une combinaison des noms "Zyd" signifiant "Juif" et le nom de l'équipe Widzew) aux fans du Widzew Lodz en sont un parfait exemple. Cependant, comme en Angleterre et en Allemagne, les clubs doivent payer de fortes amendes quand les fans clament des chants racistes ou brandissent des drapeaux au tel contenu. Les fans du Widzew, offensés par le nom de "Juifs", usent exactement de la même terminologie pour appeler leurs rivaux locaux du LKS. On trouve de nombreux groupes en Pologne qui dans leur appellation font ouvertement référence à leur tendance politique ancrée à droite : KS Piast Blaszki Boneheads, Slask Wroclaw Skinheads...
Face à ce racisme et cet antisémitisme omniprésents, des nombreuses actions ont été lancées. La dernière action en date a été la réalisation d'une compilation contre le racisme dans les stades, "WYKOPMY RASIZM ZE STADIONOW"(Jimmy Jazz Records-009). Ce CD sorti en 2002 regroupe de nombreux morceaux tendance punk, oi!, ska et HxC, avec par exemple des groupes comme Klasse Kriminale ou Stage Bottles. De surcroît, le plus gros festival de rock en Pologne, Station Woodstock, qui a pris place pour la 8ème fois à Zary, dans la province de Lubuskie, a également permis une action de l'Association "No More" qui par l'intermédiaire de Marcin Starnawski a récolté 200 signatures en 30 minutes pour une pétition en faveur de Michal Listkiewicz, Président de la Fédération Polonaise de Football (PZPN), pour lui demander de "virer le racisme hors des stades". L'association organisa un tournoi de foot regroupant des équipes de punks et de métalleux. Marcin Kornak, président de cette Association rappelle que "les autorités de la fédération polonaise ne nous aident pas. Ils n'ont pas remarqué le problème du racisme dans les stades, jusque récemment et ils ont appelé la campagne "Let's kick racism out of football" fondée sur des modèles de l'Ouest, "une grosse exagération" ajoute Kornak. En fait, l'alternative antiraciste est réellement née en Pologne avec cette campagne "Let's kick racism out of football", lancée notamment par des fans du Polonia Warszawa ("Let's kick racism out of football" Association PO Box 6 03-700 Warszawa 4 Polska). Quand cette action a vu le jour, il y avait seulement 3 clubs avec des supporters anti-nazis et anti-racistes : le Polonia Warszawa, avec un groupe de punks et de skinheads antiracistes (une situation comparable à celle des tribunes du FC St. Pauli en Allemagne regroupant punks, redskins, SHARP, ...). Cette réputation antiraciste du club du Polonia Warszawa se retrouve également dans le fait qu'il compte de nombreux joueurs noirs : c'est le club qui a accueilli Olisadebe à ses débuts en Pologne. Actuellement, plusieurs joueurs noirs y évoluent, notamment Stanley Udenkwor et Emmanuel Ekwueme, tous deux originaires du Nigeria.
Cependant, les militants antiracistes en Pologne ont encore une longue route à faire pour égaler les partisans de l'extrême droite. Jusque maintenant, les meilleurs résultats ont été obtenus dans de petits clubs comme Orkan Sochaczew ou comme le GKS Wkra Zuromin qui ont maintenant une forte assistance anti-fasciste. Ainsi, à Zuromin, c'est un groupe antifasciste qui fait la loi : l'Anti Nazi Punks Crew. Ils entretiennent d'ailleurs de bonnes relations avec les fans de Sochaczew et comptent parmi leurs ennemis des groupes d'extrême droite comme le Totenkopf MKS Malwianka Mlawa. Des unités antifascistes existent aussi dans les clubs de ligues inférieures tels que Czarni Naklo, Falubaz Zuelane Gora, Ostrovia Ostrau ou Panorzamin Torun mais également dans des clubs plus huppés tels le Stal Sanok ou Lech Poznan, un club de Liga I. On peut d'ailleurs se demander si le fait que les noms des groupes hooligans du Lech Poznan, Desperados et Young Freaks 98, appellations qui en Italie sont celles de groupes de gauche, n'est qu'une simple coïncidence. Les supporters du Lech Poznan ont en effet tissé de très bonnes relations avec les supporters antifascistes allemands du FC Schalke 04, les "Schalker Gegen Rassismus", dont le symbole est une chaussure de foot écrasant une croix gammée. Ainsi, 9 fans allemands sont venus ensemble avec les supporters du Lech Poznan "sous une même banderole" à Poznan. Le club de Poznan a été à l'origine créé par des cheminots et possède une culture et des traditions semblables à celles du club allemand, sans oublier les couleurs, le bleu et le blanc, qui en font un partenaire idéal. Une participation conjointe au Congrés de la BAFF (Bundnis Aktiver FuBball Fans), une association de supporters antiracistes pourrait alors être envisagée.
Selon Rafael Pankowski, secrétaire de "Never Again", organisation polonaise antiraciste indépendante, le racisme est très visible en Pologne sous différentes formes mais le plus gros problème semble l'antisémitisme : "Vous verrez en Pologne des graffitis antisémites et fascistes alliés aux logos des clubs non seulement dans les stades mais aussi dans les rues."
Cependant, selon lui, le problème s'est amélioré avec l'influence d'Emanuel Olisadebe qui est devenu le premier joueur noir à intégrer l'équipe nationale de Pologne en août 2000. Emanuel a également été impliqué dans la campagne "Let's kick racism out of football" lancée en coopération avec Polish Radio 3. Originaire du Nigeria, il donna une interview au sujet de ses expériences du racisme au fanzine anti-fasciste "Stadion" et accepta d'apparaître sur des posters de football antiracistes publiés par "Never Again". L'antisémitisme n'est donc pas la seule forme de préjugés ouvertement exprimés en Pologne. Le problème du racisme dans le football polonais a affecté de plus en plus les joueurs noirs qui ont rejoint les clubs polonais depuis le milieu des années 90. Frankline Murdoch, un joueur d'origine camerounaise a même relaté que dans de nombreux clubs, de nombreux joueurs mettaient la pression sur les entraîneurs afin de ne pas inclure les joueurs noirs dans l'équipe. Olisadebe fut souvent accueilli dans les stades polonais par des cris de singes et des bananes lancées vers lui, ce que subissent encore aujourd'hui les joueurs noirs en Pologne. Après avoir été fait citoyen polonais pour lui permettre de jouer (il s'est par la suite marié avec une ravissante polonaise), la décision a été critiquée par l'influent journal d'extrême droite, "Zycie". Quelques semaines avant ses débuts internationaux, il se fit cracher dessus par un autre joueur durant un match de championnat polonais. En réponse à tout cela, Olisadebe marqua 3 buts phénoménaux lors de ses deux premiers matchs internationaux et fit ainsi taire les critiques. Comrade Baxter.
lundi 16 juin 2008
Pologne : La longue route des supporters antiracistes.
Publié par lepolak à 17:51