mercredi 21 mai 2008

RADIO MARYIA EST-ELLE XENOPHOBE ?

Piété et xénophobie sur les ondes courtes polonaises

Sarah Elsing

"Radio Maryja, la radio la plus écoutée en Pologne, explique la Bible ainsi que le monde en définissant l’ennemi : les juifs, les étrangers et l’Union européenne. Eglise et gouvernement semblent impuissants contre le « tuba de Dieu »." (S. Elsing). L’article n’est pas récent, mais il a paru utile de le reproduire ici pour fournir un peu de contexte à l’article que je viens de mettre en ligne *.

(Menahem Macina).

28/05/04

Texte original allemand, sur le site Café Babel : "Fromm und fremdenfeindlich auf Polens Kurzwelle".

Version française sur le même site.

* Voir : "Une subvention européenne pour la radio antisémite polonaise ?"


Traduction française : Nora Schreiber

L’homme sait comment créer de l’ambiance:

« Depuis que l’Holocauste figure au programme scolaire, tout le monde croit qu’Auschwitz était un camp d’extermination, et non un camp de travail normal ».

Voilà comment Dariusz Ratajczak ouvre le débat. Grande indignation dans la salle.

Un historien - condamné entre temps – avait déclaré :

« Tant que, dans un Etat catholique comme la Pologne, la plupart des ministres seront juifs et pueront les oignons, la Pologne ne sera jamais polonaise. »

Grande approbation par les illustres participants à la discussion, et cris de joie de l’auditeur en ligne :

« Laissez-nous sauver notre patrie et chasser les juifs du pays, une fois pour toutes. »

Partout dans le pays, on peut écouter en direct de telles tirades de haine antisémite. Radio Maryja, la « voix catholique dans ta maison », est diffusée sur ondes courtes et par satellite, et peut être captée par environ 4 à 6 millions d’auditeurs réguliers dans tout le pays. Depuis maintenant plus de dix ans, la station radio ultra-religieuse du Père rédemptoriste, Tadeusz Rydzyk, dont le siège se trouve dans la ville provinciale de Torun, au nord de la Pologne, offre à ses croyants, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, un mélange de prières, de cantiques et de manipulation politique. Sous le couvert du catholicisme, ce bastion autoproclamé de la Pologne profonde, tantôt appelle, avec insistance, au boycott du référendum sur l’adhésion à l’UE, tantôt conseille de raser la tête aux députés qui ont voté pour une libéralisation du droit à l’avortement, comme on le fit aux Polonais qui avaient collaboré avec les nazis pendant la guerre.

Cliché ajouté par la Rédaction d'upjf.org

Un empire qui ressemble à une secte


Grâce à d’énormes collectes de fonds, lesquels ne profitent pas à l’Eglise catholique, le Père Rydzyk a pu se construire un petit empire. On estime que, pour la seule année 2002, il a encaissé une somme de 16 millions de zlotys (3,4 millions d’euros). Outre ses 47 stations locales de radio, il contrôle le journal Nasz Dziennik - qui tire à 250 000 exemplaires -, trois fondations, ainsi que l’Ecole supérieure de Culture Sociale et Médiatique de Torun, département de journalisme inclus.

Rodzina Radio Maryja (Famille de Radio Marie) est un mouvement hors du commun, avec ses 5 à 6 millions d’adeptes qui réalisent toute sorte d’opérations pour la station. Ils y sont incités, dès leur plus jeune âge, par la section jeunesse. L’ecclésiastique aux deux portables sous la soutane, est admiré par ses adeptes, à tel point que les critiques de la « Famille Radio Marie » la considèrent presque comme une secte. Des groupes religieux de toute la Pologne viennent en autobus jusqu’aux studios centraux modernes, à Torun, pour prier avec le « Père directeur » dans la chapelle de la radio.

Si l’ampleur véritable de l’influence de Radio Maryja sur l’opinion publique polonaise est difficile à mesurer, il ne faut pas sous-estimer l’influence politique de la station. Les partis qu’elle soutient, la Ligue des Familles polonaises (LPR) et la Samoobrona («autodéfense»), ont drainé environ 33 % des votes lors des dernières élections locales, plus que les socialistes du Premier ministre en exercice.


Cofinancée par l’Etat


En Pologne, il n’y a guère de contraintes imposées par le droit des médias à l’encontre de l’agitation d’extrême droite. Il manque des lois contre l’agitation populaire et la xénophobie. Depuis le tournant de 1989, les quarante ans de censure communiste du passé, ont fait que le nouveau pays membre de l’UE, comme la plupart des pays d’Europe de l’Est, a renoncé complètement à se pourvoir d’un code médiatique.


Après les accusations infondées de fraude fiscale et le conflit avec la conférence des archevêques polonais, dont Radio Maryja sort renforcée, personne n’ose agir officiellement contre la station, bien que le Président Kwasniewski ait dû faire face à des questions gênantes, même à l’étranger. Bien au contraire : depuis l’année dernière, après la protestation de députés de droite au Parlement, la station bénéficie d’un statut semblable à celui de la radio d’Etat publique, et elle est cofinancée par des recettes fiscales. Depuis le début de l’année, Radio Maryja détient même une licence de télévision. Ainsi, la jeune entreprise « TV Trwam », titre que l’on peut traduire par « Je maintiens mon opinion », pourra également prêcher l’antisémitisme et la xénophobie. Une triste perspective pour un pays démocratique, sur lequel ses voisins européens avaient placé tant d’espoirs.

Sarah Elsing

Mis en ligne le 04 septembre 2007, par M. Macina, sur le site upjf.org