samedi 28 juin 2008

L'ANTISEMITISME SANS JUIF

En Occident, la découverte d'Auschwitz a eu pour effet d'évacuer les manifestations d'antisémitisme de la place publique pendant un certain temps. Pas en Pologne où les souffrances subies par les victimes du nazisme - 3 millions de Juifs et 3 millions de non-Juifs - ont été mises sur le même plan. La spécificité de la Shoah n'est pas perçue en Pologne, où l'on cherche même à déjudaïser les victimes du génocide. A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la population juive polonaise était presque totalement décimée, massacrée systématiquement dans les camps d'extermination.



En juillet 1946, un pogrom a pourtant lieu à Kielce, au cours duquel 42 Juifs sont tués et plus de 70 blessés. Le prétexte est, une fois encore, la responsabilité du meurtre* rituel d'un chrétien. Des 250'000 Juifs qui habitent en Pologne à l'époque, plus de la moitié émigre avant 1950. Il leur est apparu que l'antisémitisme polonais était plus violent qu'avant la guerre. Ceux qui sont restés ont voulu servir le régime communiste, au risque d'être une cible facile des colères populaires.



A la fin des années 50, on assiste à une montée du nationalisme polonais fortement teinté d'antisémitisme : les Juifs sont écartés des positions élevées au Parti, dans l'administration, dans l'armée et placés sous surveillance, parce qu'ils sont considérés comme anti-nationaux.



A partir de 1967, après la victoire d'Israël sur les armées arabes et sous couvert d'antisionisme*, une campagne violemment antisémite force les deux tiers de la population juive à émigrer. On les accuse d'être des agents de l'impérialisme occidental, de fomenter un complot anti-soviétique. Les purges se poursuivent à l'université, dans les médias et les agences gouvernementales. A l'intérieur du Parti, on dénonce les Juifs staliniens.



Même après l'effondrement du communisme, les discours antisémites ont continué d'être propagés : l'ancien président Lech Walesa a souvent fait appel aux fantasmes antisémites de ses électeurs en accusant ses adversaires d'être des crypto-juifs au service de Moscou. Tout candidat doit prouver sa généalogie non-juive, c'est-à-dire purement polonaise et catholique. Les Juifs visés ne sont pas les Juifs traditionnels, mais ceux qu'on dit infiltrés, convertis, dissimulés sous le masque du Polonais.



L'antisémitisme est souvent considéré comme une opinion légitime qui ne donne jamais lieu à une condamnation politique ferme, malgré les profanations de cimetières, les graffitis, la diffusion de classiques de l'antisémitisme (comme les Protocoles des Sages de Sion*).



Aujourd'hui, les clichés les plus éculés circulent encore à propos des Juifs, notamment parmi les paysans nourris de légendes médiévales : meurtre rituel*, déicide*, complot*. Ces accusations sont également véhiculées par les partis nationalistes et par une partie de l'église catholique incarnée par le primat de Pologne Jozef Glemp. C'est à son initiative que des sœurs carmélites s'installent à côté d'Auschwitz de 1979 à 1992, et avec son accord qu'en 1998, 250 croix sont plantées aux abords du camp, souvent par des catholiques intégristes venus d'Europe et des Etats-Unis. Pour les Juifs, Auschwitz (où la grande majorité des victimes étaient juives) est le symbole de la Shoah et de son caractère unique, un lieu voué au silence et au deuil. Les croix violent le symbole et sont perçues par les Juifs comme un acte d'appropriation des morts juifs.



in CICAD

Paul LENDVAI : L'Antisémitisme sans Juifs, Paris, Fayard, 1971.
Michel WIEVIORKA : Les Juifs, la Pologne et Solidarnosc, Paris, Denoël, 1984.