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Plus de quarante Juifs ont été massacrés à Kielce en 1946, déclenchant l’exode de ceux parmi les membres de la communauté juive polonaise, autrefois prospère, qui avaient survécu à la Shoa.
Cette rumeur, qui avait rapidement enflé et pris des proportions tout à fait irréalistes, prétendait que la communauté juive de la ville, presque entièrement éradiquée pendant la guerre, avait besoin de transfusions de sang d’enfants chrétiens pour assurer sa survie.
Certaines personnes assuraient qu’elles avaient vu des crânes et des squelettes d’enfants dans la cave d’une famille juive et répandaient des informations imaginaires selon lesquelles cette famille se serait livrée à des meurtres rituels pour se procurer la goutte de sang chrétien nécessaire, selon ces affabulateurs, à la confection des matsot, les pains azymes consommés par les Juifs à Pessah.
Le père du jeune garçon prétendument retenu en otage pendant la nuit par cette famille juive - alors qu’en fait il avait dormi chez un copain à la campagne - demanda à la police d’ouvrir une enquête.
Accompagné par ses voisins, il se rendit avec les policiers dans la rue Planty, où vivaient de nombreuses familles juives. La foule fut encore grossie par des soldats et des membres d’une milice communiste, qui se joignirent à elle.
Un officier de police ordonna aux Juifs de livrer leurs armes et c’est alors que les premiers coups de feu furent tirés. Il n’est pas possible de déterminer avec certitude qui ouvrit le feu sur qui, mais les soldats, policiers et civils impliqués dans la bataille qui s’ensuivit tirèrent sur les Juifs ou les battirent à mort. Certains furent même jetés par les fenêtres des appartements.
Trente-sept Juifs et trois Polonais non juifs furent tués au cours des violences qui eurent lieu ce jour-là, et qui furent suivies par d’autres attaques contre les Juifs de la ville quelques jours plus tard.
Selon des survivants résidant actuellement en Israël, une délégation juive, alertée par la tension latente, s’était rendue quelques jours plus tôt chez l’évêque local où elle s’était vu répondre que l’Eglise ne pouvait pas intervenir en faveur des Juifs "car ils avaient apporté le communisme en Pologne".
Les événements de Kielce provoquèrent une vague d’émigration massive de plusieurs dizaines de milliers de Juifs polonais, rescapés de l’Holocauste nazi.
"Après le pogrome de Kielce, la situation s’est trouvée inexorablement changée", explique l’historienne Bozena Szaynok de l’université de Wroclaw.
"Immédiatement après la guerre, de nombreux Juifs, considérant la Pologne comme un immense cimetière où ils ne pouvaient plus continuer à vivre, avaient émigré vers la Palestine.
"Le pogrome créa chez les Juifs une véritable atmosphère de panique. Ils ne se sentaient plus en sécurité en Pologne", explique-t-elle.
Au cours des trois mois qui suivirent ce massacre, quelque 70 000 Juifs quittèrent la Pologne. Ils étaient plus nombreux que les 50 000 qui avaient émigré durant toute l’année précédente.
Avant la Seconde Guerre mondiale, la Pologne abritait la plus grande communauté juive d’Europe, qui comptait environ 3,5 millions de personnes. La plupart d’entre elles furent exterminées au cours de la Shoa.
Une atmosphère propice
L’atmosphère qui régnait en Pologne après la guerre était propice à des événements comme le pogrome de Kielce.
"Ce pogrome n’aurait jamais pu avoir lieu sans le climat d’antisémitisme qui régnait à l’époque en Pologne, où les Juifs étaient déshumanisés : on considérait qu’ils avaient été "punis" au cours de ce conflit et le mythe du Juif communiste, qui avait amené les communistes honnis au pouvoir, était très répandu", précise l’historien Andrzej Paczkowski.
"Les Polonais craignaient que les Juifs qui avaient survécu à la guerre ne reviennent réclamer les maisons qu’ils avaient dû abandonner lorsqu’ils avaient fui les nazis", ajoute-t-il.
Bien que le pogrome de Kielce ait été le plus important massacre de Juifs commis après la guerre en Pologne, d’autres tueries similaires, souvent déclenchées par des conflits sur des droits de propriété, eurent lieu à travers le pays.
Selon les historiens, le nombre des Juifs tués au cours d’attaques perpétrées en Pologne après la guerre se situe entre 600 et 1500.